« Un astéroïde passera près de la Terre… »

Publié le 15 mars 2020 par Pierre Paquette · Mis à jour le 18 mars 2020 par Pierre Paquette

Astéroïde ErosOn entend ou on lit parfois dans les nouvelles qu’un astéroïde « frôlera » la Terre ou en « passera proche », ou autre formule similaire. Il importe toutefois de relativiser les choses. Qu’entend-on au juste par « près » ? Faut-il être aussi alarmiste que le sont certains médias dans de telles situations ?

Terminologie

La langue de Molière n’est pas très adaptée dans son choix de termes pour désigner les objets dont il est question dans cet article. En effet, on note en français le terme « géocroiseur » comme traduction de l’anglais near-Earth object, mais ce dernier terme regroupe tous les objets qui s’approchent de l’orbite terrestre, sans nécessairement la croiser comme l’implique le terme français. Je continuerai donc, dans cet article, en utilisant le terme anglais ou son abréviation NEO, que je juge idoine dans ce cas. Quand l’orbite d’un objet croise réellement celle de la Terre — terme qui doit être pris au sens large ; j’y reviendrai —, j’utilise pour lui le terme géocroiseur comme tel.

Un NEO est défini comme étant un objet dont l’orbite se trouve, au moins en partie, entre 0,983 et 1,3 unité astronomique du Soleil. Une unité astronomique (ua), historiquement la distance moyenne Terre–Soleil, est aujourd’hui égale à 149 597 870 700 m (depuis 2012 ; résolution B2 de l’assemblée générale annuelle de l’Union astronomique internationale). La distance minimale de 0,983 ua correspond à la distance Terre–Soleil lorsque notre planète est au périhélie, au début de janvier de chaque année (la distance à l’aphélie, début juillet, est de 1,017 ua).

On distingue, parmi les NEO, les comètes (NEC pour near-Earth comets) et les astéroïdes (NEA), ces derniers comprenant notamment les sous-groupes des Atira, dont l’orbite est entièrement contenue dans celle de la Terre, c’est-à-dire que leur aphélie, Q, se situe à moins de 0,983 ua et que leur demi-grand axe, a, est inférieur à 1 ua ; les Aten, des géocroiseurs pour lesquels a < 1,0 ua toujours, mais pour lesquels Q > 0,983 ua ; les Apollo, des géocroiseurs dont le périhélie, q, est inférieur à 1,017 ua et a > 1,0 ua ; et les Amor, avec a > 1,0 et 1,017 < q < 1,3 ua et qui ne croisent donc pas l’orbite de la Terre.

Le groupe qui nous intéresse plus particulièrement ici est celui des potentially hazardous asteroids, les « astéroïdes potentiellement dangereux », pour lesquels la distance minimale d’intersection de l’orbite (DMIO) est de 0,05 ua ou moins (7,5 millions de kilomètres) et le diamètre est de plus de 140 m. Cela ne signifie pas que les objets plus petits soient entièrement sécuritaires, puisqu’un objet de même 100 m de diamètre creuserait un cratère d’environ 1,2 km de diamètre et libérerait, au moment de l’impact, 3,4 mégatonnes d’énergie — à titre de comparaison, les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945 avaient chacune une énergie d’environ 1,6 kilotonnes ; on parle donc de quelque 2 000 fois plus d’énergie. Rassurez-vous, toutefois ; on estime que les objets de 100 m ne percutent notre planète qu’aux 5 200 ans environ.

Proche ?

Au début de mars 2020, certains médias ont mentionné l’approche, pour le 29 avril suivant, de l’astéroïde (52768) 1998 OR₂, d’un diamètre estimé à 2–4 km. La distance minimale entre l’astéroïde et nous sera d’environ 0,04204 ua, soit 6,289 millions de kilomètres ou 16,36 fois la distance Terre–Lune. Selon Wikipedia (en anglais), le 16 avril 2079, l’objet fera un passage encore plus rapproché, à 0,0118 ua (1,765 million de kilomètres ou 4,6 fois la distance Terre–Lune).

Afin de mettre les choses en perspective, j’ai préparé l’image ci-dessous, montrant les vingt passages d’astéroïdes les plus rapprochés jamais enregistrés (points blancs) de même que les 14 approches d’astéroïdes enregistrées dans les deux premiers mois de 2020 (points jaunes). Note : Les astéroïdes eux-mêmes seraient invisibles à cette échelle, alors leur taille est ici exagérée. Cliquer sur un astéroïde montrera les informations qui lui sont pertinentes dans le coin supérieur gauche de l’image. Il se peut que tous les objets ne soient pas visibles, selon la taille de votre écran. Chaque pixel représente 500 km. La position haut–bas et gauche–droite ne reflète pas nécessairement la vraie position de l’objet lors de son plus proche passage, mais la distance à la Terre est conforme, et la latitude des trois objets ayant impacté la Terre est bonne. À cette échelle, l’astéroïde (52768) 1998 OR₂ passerait à environ 2,8 m de la Terre en 2020 et à environ 80 cm de la Terre en 2079 (pour un écran de 13,3″ / 34 cm de diagonale).

Géocroiseur ?

Même le terme « géocroiseur » peut porter à confusion. Il s’applique à tout objet dont l’orbite « croise » celle de la Terre, mais on devrait plutôt expliquer le cas en disant qu’une partie de l’orbite de l’objet se situe plus près du Soleil que l’orbite de la Terre, et une autre partie plus loin. On ne doit donc pas présumer que le tracé de l’orbite de l’objet intercepte physiquement, ni même ne passe proche, du tracé de l’orbite terrestre.

Orbites de Neptune et de PlutonUne comparaison pourrait être faite avec une personne qui a les deux bras étendus devant elle, la main gauche à hauteur des yeux et vis-à-vis l’épaule droite, et la main droite à la hauteur des hanches et vis-à-vis la hanche gauche. Vue d’en haut, cette personne a les bras placés en forme de X, et on pourrait donc dire qu’elle a les bras « croisés », mais en aucun cas ses bras ne s’approchent l’un de l’autre, et ils ne se touchent encore moins.

De même, si un astéroïde a un périhélie à 0,99 ua et un aphélie à 1,005 ua, son orbite est entièrement « coïncidente » avec celle de la Terre — mais il faut aussi vérifier l’inclinaison de son orbite par rapport au plan de l’orbite terrestre (l’écliptique), de même que la longitude du nœud ascendant de son orbite — l’angle entre le point vernal et le point où l’orbite de l’objet croise le plan de l’écliptique du sud vers le nord. (De même, l’orbite de Pluton ne « croise » pas celle de Neptune, au sens où, bien que Pluton s’approche plus du Soleil que Neptune, les orbites sont dans deux plans distincts et, à l’image des bras de notre personne, leurs tracés ne s’approchent pas l’un de l’autre. On peut visualiser ces orbites en trois dimensions, dans une simulation interactive sur la page du JPL Small-Body Database Browser — capture d’écran ci-contre.)

Conclusion

Malgré ce qu’en disent les médias, les passages rapprochés d’astéroïdes ne le sont qu’à l’échelle cosmique… Dans la majorité des cas, il y a une bonne distance sécuritaire entre l’astéroïde et nous. Néanmoins, la question ne se pose pas à savoir si un « caillou céleste » nous tombera un jour sur la tête, mais plutôt quand. Trois des quatre impacts notés dans l’image ci-dessus (océan Atlantique, Botswana, et Soudan), de même que l’événement de la Toungouska (non illustré, mais estimé à 3–30 mégatonnes) ont eu lieu dans des endroits faiblement peuplés ; les trois premiers n’ont causé aucun dommage. La météorite de Tcheliabinsk, toutefois (quatrième impact illustré, à la plus grande latitude), a causé un bang supersonique qui a fracassé de nombreuses vitres et causé quelques autres dommages semblables. Puisque l’onde de choc, se déplaçant à la vitesse du son (343 m/s), est arrivée quelques instants après que le flash lumineux, 30 fois plus brillant que le Soleil, soit aperçu, des centaines de personnes s’étaient ruées à la fenêtre pour voir ce qui se passait — l’éclatement des vitres a donc causé environ 1 500 blessés assez graves pour que ceux-ci nécessitent des soins médicaux (on ignore le nombre de blessés plus légers), dont 112 hospitalisations et deux cas graves. Le flash lumineux a lui-même causé quelque 180 cas de douleur oculaire, rendant environ 70 personnes temporairement aveugles, et blessant 20 par surexposition aux rayons UV (effets semblables à un coup de soleil). On a aussi rapporté quelque 7 200 bâtiments endommagés, les dégâts totalisant quelque 1 milliard de roubles (environ 33 M$US) — plusieurs étant remboursés par l’état. La météorite a terminé sa course dans un lac voisin ; on en a retrouvé une cinquantaine de fragments, dont le plus gros fait environ 5 kg, jusqu’à la détection et la récupération, environ sept mois plus tard, d’un morceau de 654 kg et environ 60 cm de diamètre. Une partie des résidus retrouvés ont été incorporés aux médailles olympiques remises à Sochi l’année suivante lors des XXIIes Jeux olympiques d’hiver.

Incidemment, le même jour que l’événement de Tcheliabinsk, l’astéroïde 367943 Duende / 2012 DA₁₄ est passé à seulement 34 050 km de la Terre (27 743 km de la surface). Ce passage était prévu et n’est pas relié à l’impact qui a eu lieu en Russie ce matin-là.

On estime que des événements du calibre de Tcheliabinsk ou de la Toungouska se produisent environ une fois tous les 60 à 100 ans. Outre ces deux cas, il y a la possibilité d’un autre le 13 août 1930 au-dessus de la rivière Curuçá, au Brésil (énergie probable d’environ 1 mégatonne ; peu de témoins, rencontrés par hasard par un frère franciscain cinq jours plus tard), et d’un quatrième près des îles du Prince-Édouard, dans l’océan Indien subantarctique. Un cinquième événement pourrait avoir eu lieu en 1490 (21 mars ou 4 ou 19 avril) à Ch’ing-yang (Qìngyáng), dans le nord-ouest de la Chine ; selon certains rapports, il y aurait eu des milliers de personnes blessées ou même tuées par une « chute de pierres », que plusieurs associent à un impact météoritique.

La Terre n’est donc pas à l’abri de collisions cosmiques, mais celles-ci ne se produisent pas souvent. Enfin, quand les médias mentionnent un « passage rapproché », il faut mettre les choses en contexte et, surtout, ne pas s’affoler.

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© 2020 Astronomie‑Québec / Pierre Paquette